EN COURS & EN COULISSES​
Chevaleresses
Puzzle #1
De la pâte à modeler dans les mains
Il y a d’abord ce titre, puissant, valeureux, engageant : Chevaleresses, féminin pluriel de Chevalier. Un terme pas moyen-âgeux pour autant, entre sagesse et prouesse, qui désigne « celle qui avait reçu l’ordre de la chevalerie ». Beaucoup plus puissant qu’une « chevalière » (soit la simple femme de chevalier). Première pierre féministe posée là donc, bien centrée. Car il s’agit bien d’un combat que la comédienne Nolwenn Le Doth, maternée à la légende du Roi Arthur, a choisi de mener avec son texte. Le premier. Un texte à tiroirs, aux fils finement entremêlés, qu’elle a mis trois ans à "accoucher".
Chevaleresses c’est l’histoire d’un inceste révélé, libéré, partagé tête haute par cette artiste sensible, solaire, forte et fragile à la fois, qui signe une autofiction puissante remarquablement écrite, qu’elle portera au plateau, elle-même, en 2024, l’année de ses 40 ans. De l’enfant dissociée à l’adulte réparée, de la maladie mentale de son abuseur au parcours judiciaire, jusqu’à la transformation créative, « comme un oignon qu’on épluche », la comédienne-autrice invite chacun.e à accompagner son éclosion -et sa survie ?- dans un élan cathartique collectif d’espoir et, sans vraiment l’anticiper au départ, de fraternité. D’ici là, elle va monter la production, trouver les partenaires, une maison d’édition, poursuivre le cycle de lectures qu’elle a entamé en juillet 2022, avec une participation au Souffle d’Avignon, en 2023. Intuitivement, à travers cet acte créatif, vaillant et réparateur, nous rentrons dans son armée de chevaleresses. Première rencontre un soir d’hiver dans un café, janvier 2023.
Transcender le drame de l’enfance
Enfant, Nolwenn a connu un drame : l’inceste. « Je me suis longtemps dit qu’un jour j’en ferai quelque chose de cette histoire. C’est les histoires d’amour, impossibles à vivre, qui m’ont fait réagir, ça m’a fait la même chose que le choc de base. » Avant que le texte voit le jour, il y a eu trois ans d’écriture. Il fallait bien ça, le texte bouge et vit encore. Première résidence, en 2018 donc, à la Grange des Artistes (Sablet), puis au Théâtre des Carmes et au Centre dramatique de villages du Vaucluse.
« J’ai relu mes cahiers d’écriture journaliers des sept dernières années. Je suis sortie de la première résidence avec de la pâte à modeler dans les mains, et je me suis dit ok, c’est bon, il y a peut-être quelque chose… même si combien de fois je me suis demandée ce que je faisais là ! Je ne suis pas autrice ! » Parallèlement, en novembre 2019, Nolwenn crée sa compagnie à Avignon pour porter le projet. « Il était temps d’arrêter la dissociation. Quelque chose s’était assumé ». Ce sera la Cie Francine & Joséphine, prénoms de ses deux grands-mères, importantes dans son histoire. « Je voulais inclure l’idée de lignée, et ça allait bien avec le Bleu d’Armand, mon autre compagnie (basée à Lyon, ndlr), c’est comme si on était germaines.» Le puzzle borde ses cadres.
​
« Au cœur du début du commencement du texte »
Le texte accouché, et la renaissance en marche, l’intérêt extérieur pointe lui aussi son nez. Lectures au festival Off 2022, au Conservatoire et au Théâtre des Carmes, et premières émotions enfin partagées en public. Parents présents, touchés par sa transformation : « Ils m’ont dit que c’était magnifique ! Que j’étais une alchimiste et que j’avais transformée la merde en or ! Deux ans plus tôt, ils m’affirmaient qu’ils ne voudraient jamais voir le spectacle ». Novembre 2022 : Nolwenn est lauréate du festival Texte en cours (Montpellier), sur 159 textes présentés. Janvier 2023 : troisième lecture au Planning Familial. « Il y avait là ce parterre de femmes, de la bienveillance, une écoute particulière, sincère, j’avais l’impression d’être au cœur du début du commencement de ce texte ». Ces femmes rappellent ce pluriel qu’elle a tenu à rajouter au terme Chevaleresse, et confirment son désir de départ de rajouter un chœur de voix féminines au plateau.
​
Pourquoi ?
Pourquoi écrire ce texte ne lui suffit-il pas ? Pourquoi ce désir, impérieux, de le porter seule sur scène ? « Le résultat de la médiation pénale que j’ai entamé vis-à-vis de mon frère, ça a été un bout de papier où on m’a juste demandé d’écrire Lu et Approuvé… C’est l’une des raisons qui m’a motivée à écrire. Quand j’ai fini d’écrire le texte, je me suis dit ok, là ça suffit. Mais non en fait ! je ne suis pas autrice, je suis autrice de CE texte, il m’a fait assumer la comédienne que je suis, je l’aime cette comédienne. J’ai écrit un texte qui me donne du jeu : je me suis écrit une machine à jouer. Le « pourquoi » est resté ancré très longtemps… Quand j’ai arrêté de vouloir y répondre, ça m’a libéré quelque chose, et j’ai été disponible pour comprendre. Et accepter ce qui m’était arrivé. C’est paradoxal. »
​
« J’ai écrit ce texte pour être 100 % comédienne »
S’en extraire ? Le proposer à une autre comédienne ? « Pas pour le moment ! L’autofiction m’a permis de prendre de la liberté avec la chronologie. Je parle d’un système répétitif de générations… ça me semble important de le partager au plus grand nombre. Je sens avec les premières lectures, que ça permet de libérer la parole et c’est déjà merveilleux. Je me rends compte aussi du courage. Tout l’amour qu’il y a dans ce texte est révélateur de l’amour auquel j’ai essayé de me reconnecter pour traverser ma thérapie et le parcours juridique. »
De la colère, Nolwenn n’en a plus : aujourd’hui, elle apprécie la joie de lire ce texte. Elle construit son armée de Chevaleresses autour d’elle. Et devant, elle a un peu plus d’une année pour le porter au plateau...
​
DM