PORTRAITS & AFFINITÉS
Laetitia Mazzoleni,
au propre et
en Transversal
Elle arrive au rendez-vous, (un peu) à la bourre (elle a pris le soin de prévenir), après avoir couru tout l’après-midi avec son équipe de création pour trouver les costumes du spectacle « Atteintes à sa vie », à 15 jours de la Première. La pression monte, on le sent, même si chez Laetitia Mazzoleni, pour qu’elle devienne un problème cette pression, visiblement il lui en faut beaucoup. Depuis 2017 (et 5 festivals), elle gère d’une main experte, tout en douceur mais avec une intuition dingue, le « petit » théâtre (mot qu’elle n’apprécie guère, y sentant chez certains une certaine condescendance peu amène) Transversal. En 6 ans, le Transversal est devenu grand. Rencontre et échange à bâtons rompus -surtout elle, chez qui l’éloquence est une seconde nature.
Laetitia Mazzoleni a plusieurs vies. « J’ai une chance extraordinaire ! ». Toutes imbriquées, savamment dosées, équilibrées. Qu’on évoque sa carrière de comédienne, de metteure en scène, de directrice de compagnie, de patronne de théâtre, son rôle de mère de deux filles (« géniales »), de future épouse très amoureuse, de fille de (« bien entourée »)… chacune, dont elle tient souvent le premier rôle, la rend heureuse, c’est sûr. Sous son rire qui pointe en moins de deux, du haut de ses 43 printemps, même sa page Wikipédia, bien renseignée au demeurant, n’arrive à transmettre la gourmandise avec laquelle elle savoure, tout ce qui la compose, sa vie. Pas ostentatoire ni crâneuse, son ambition a pourtant une sacrée belle dose d’audace. Qu’elle monte du Beckett, du Visniec, des auteurs belges inconnus, des expos photos, qu’elle organise son mariage en grande pompe (et en vert, avec peut-être même un peu de doré), avec plein de copains (« qui ont tous un lien avec la culture, hormis deux amis pharmaciens »), ou son prochain festival qu’elle vit à chaque fois comme un marathon, qu’elle propose son théâtre à qui saura suffisamment la convaincre, ou qu’elle laisse une compagnie « habiter » son propre domicile pour tester une pièce, cette fille-là marche au plaisir. Car ça aussi c’est sûr : elle a gardé son âme d’enfant en majuscule. Au propre et en Transversal.
9 km au podomètre
C’est donc après 9 km au compteur de son podomètre que ce jour-là elle vient raconter un petit bout d’elle. On évoquera finalement peu le contenu de la prochaine pièce, « Atteintes à sa vie », dans laquelle elle joue une poignée de jours plus tard, au Transversal, et qui accapare ses journées. Mise en scène par son comparse Sébastien Piron, reprise au Off 2023, cette nouvelle création est portée par sa compagnie, L’Agence de fabrication perpétuelle. Un drôle de nom de baptême, « je n’ai pas trouvé plus long ! », dont elle a le don, après l’avoir surnommée plus de 10 ans « On est pas là pour se faire engueuler ». « Philippe Groomber(ancien directeur du Théâtre des Doms, ndlr) me disait : tu serais une compagnie belge les gens trouveraient ça super cool ce nom, mais ici ça ne fait pas sérieux. Très rapidement, on a été repéré par les institutions, je me rappelle aussi d’une chargée de mission théâtre qui m’a dit : ce nom vous le changerez ! Tu t’aperçois qu’en France, tu ne peux pas trop rigoler, le théâtre c’est quelque chose de sérieux. Je me suis dit ok, je vais changer de nom, ça ne changera pas mon travail. »
Toutes ses casquettes la relient dans tous les sens au théâtre. Depuis longtemps. Quand sa fille Thelma (8 ans) lui demande à quel âge elle avait su ce qu’elle voulait faire dans la vie, elle lui répond : « Je ne sais pas, je n’ai aucun souvenir de me dire que c’était ça que je voulais faire tellement c’est vieux. Je n’ai pas eu à choisir sur Parcoursup ! Ma première envie de jouer, c’était en rentrant au collège à Roquemaure, je venais d’un petit village sans théâtre, j’étais persuadée qu’il y aurait forcément un club théâtre. Sauf qu’il n’y en avait pas ! Je suis donc allée voir le pion, un élève de conservatoire de Montpellier et ensemble, avec mes copains que j’avais rameutés, on a créé un atelier théâtre. C’était évident : c’était ce que je voulais faire ! » Résultat : elle rentre au conservatoire d’Avignon à l’âge de 16 ans, « normalement c’est à 18 ans, mais j’ai fait des pieds et des mains pour y rentrer plus tôt. »
Vivoter mais ne jamais céder
Après le bac, et trois années de conservatoire, elle part travailler en Angleterre, à côté de Birmingham. « Je prenais des cours dans une classe pré-professionnelle, où le théâtre est une matière comme les autres. J’étais à la fois élève et assistante d’une prof de théâtre. J’ai compris qu’en Angleterre le théâtre que j’aimais était considérée comme underground. Le foisonnement qu’on a en France grâce à l’intermittence n'existe pas. Pour continuer, il aurait fallu que je sois aussi serveuse à côté. Je suis revenue. » Sans remettre en question son désir de théâtre, jamais. Sauf au tout début de sa compagnie, ou l’envie de faire du vin s’est manifestée, « j’en étais encore à vivoter et à compter mes sous à la fin du mois, c’était un peu compliqué, la question s’est posée. Mes parents viticulteurs allaient prendre leur retraite… J’aurais adoré marier les deux, mais ce qui m’a freiné ce sont les deux années d’étude et le diplôme nécessaire pour reprendre des vignes. Il aurait fallu que je mette ma carrière en parenthèse pendant 2 ans, c’était le début, c’était trop compliqué… »
Tout va à bon rythme chez Laetitia, à peine rentrée à Avignon elle rajoute une corde à son arc de comédienne. « Ce sont des rendez-vous de la vie qui m’ont permis de le faire. J’ai intégré une équipe artistique où je me suis rendue compte que j’avais plein d’envies de mises en scène. Je ne m’étais jamais posée la question avant, parce qu’étais interprète ! J’ai trouvé ça vachement plaisant. J’ai donc créé ma compagnie. » Aussi simple que ça ! Puis, alors que tout le monde lui disait « t’es à Avignon, t’as un théâtre », elle qui ne voulait surtout pas de théâtre… s’est retrouvée avec un théâtre. Une folie ? « Ça n’est pas le même métier. Tu ne marches plus que pour ta pomme, c’est comme quand t’es en couple et que tu as une famille, c’est plus la même chose. Avant, j’en faisais un peu qu’à ma tête, maintenant je suis vachement plus dans l’accompagnement des autres… souvent au détriment de mon travail. S’il y a 3 francs 6 sous, ils iront toujours au soutien d’une Compagnie qui débute plutôt que dans mes créations. »
Le Transversal, laboratoire de recherche
Elle apprend donc à séparer les choses : « Ça n’est pas tous les jours évident et c’est beaucoup plus de travail. » Ni son banquier ni son comptable, ne sont pas toujours d’accord avec ses risques financiers, « je suis trop généreuse, je me suis fait quelques frayeurs notamment avec le Covid, mais je n’ai pas envie de baisser cette générosité, j’ai envie de me défoncer deux fois plus pour aller chercher des thunes ailleurs ». Et ça lui réussit. Car en 5 ans, le Transversal a fait ses preuves, aujourd’hui reconnu autant par les Avignonnais que les festivaliers, comme un lieu laboratoire de recherche, accueillant et exigeant, ouvert, fédérateur aussi. Laetitia a aussi la reconnaissance de ses pairs et des institutions qui ne la boudent pas : elle fait partie du CA du Festival d’Avignon, du Totem, a intégré le réseau Tremplin de la Drac, est invitée à la table de Tiago Rodrigues et Vincent Baudriller aux récents États généraux de la culture organisés par la Ville d’Avignon, quelques heures avant de jouer sa Première. « Je peux le faire, alors je le fais ! C’est parce la politique culturelle me passionne. Tout comme participer au Fest’hiver, depuis 3/4 ans, j’adore qu’on se réunisse une fois par mois avec les Scènes d’Avignon, qu’on se retrouve sur tous les préparatifs. Qu’on imagine des choses. C’est vrai que je joue le jeu quand on me le demande, les institutions savent qu’elles peuvent compter sur moi quand elles en ont besoin ».
Une programmation qui lui ressemble
Il y a aussi la question de la programmation, d’été et d’hiver, qu’elle apprend à composer. Que met-elle dans sa marmite ? « Des artistes qui ont une pâte, une vision, un regard sur notre monde. J’aime la façon qu’ils ont de tordre la réalité pour nous montrer notre monde de façon poétique, détournée, quand ils transforment quelque chose. J’aime les propositions fortes, j’aime que les spectacles ne laissent pas indifférents. Quitte à ne pas plaire à tout le monde. Je pense que ma programmation me ressemble. C’est tout ça qui fait l’identité d’un lieu ! Tous ces métiers sont complémentaires dans ma tête au final, dans ce que je suis, maintenant je m’ennuierais si je n’étais que directrice de théâtre, ou que metteure en scène, ou que comédienne. » Et qu’on ne traite pas son Transversal de « petit théâtre » : « J’en ai marre qu’on dise le « petit théâtre », ça m’énerve, ça a un côté condescendant ! 40 et 47 places ça reste petit, mais pourquoi les théâtres font moins de 49 places à Avignon ? Parce qu’ils passent en catégorie 5 et que c’est moins contraignant par rapport aux contrôles de sécurité. C’est tout ! » Un plus grand théâtre serait-il alors le prochain challenge ? « 120-130 places, ça m’irait plutôt bien oui, mais il faut trouver le bon lieu, le bon placement, le bon moment. Pour l’instant mine de rien je n’ai pas eu de bol, j’ai ouvert le lieu fin 2017 j’ai eu quelques années pour montrer un peu mon travail, pouf il y a eu le Covid, et depuis : guerre en Ukraine, augmentation des charges, institutions qui disent c’est vachement bien ce que vous faites mais on n’a plus de thune. Je mange un peu mon pain noir... Mais je vais continuer de me battre pour trouver l’équilibre et fêter les 10 ans du Transversal en 2027. Dans un autre lieu, de 120 places… J’ai 4 ans pour trouver ! »
En attendant, elle a aussi des chaussures de mariage à trouver… un peu dorée ?