Odile, cette fauteuse de trouble
La collection Fauteuse de Trouble a été créée par Vanessa Springora à la demande des éditions Julliard. Vanessa Springora, rappelons-nous, avait écrit Le Consentement (Ed. Grasset), dévoilant l’emprise vécue alors qu’elle avait treize ans, emprise mise en place et construite par Gabriel Matzneff (publié chez Gallimard), tel un aigle aiguisant ses serres sur sa proie. Des serres dans lesquelles le petit animal se débat, met en place des stratégies pour vivre… ça finit généralement mal. Vanessa Springora poursuit ici sa réflexion d’éditrice sur le désir féminin, ses troubles, ses stratégies, ses dangers. Dans cette collection chez Julliard, elle a ainsi deux best-sellers à son actif : Odile l’été d’Emma Becker, une fiction puissante et irrésistible, sur l’aventure du désir, de l’expérience de la sexualité jouissive et joyeuse ; et La Chair est triste, hélas d’Ovidie, le récit autobiographique de sa grève du sexe comme un postulat théorique à l’émancipation des femmes.
Odile l’été est une fiction réjouissante, joyeuse, désinhibée, érotique. Un vocabulaire cru et précis pour raconter les expériences sexuelles d’Odile, adolescente, jeune adulte et mère. Par la voix d’une narratrice qui était l’amie d’enfance d’Odile, on découvre comment cette liberté sexuelle, faite de fantasmes et d’expériences, est insatiable et surtout un réel moteur pour vivre pleinement. Evidemment, on ne s’extrait pas de la société telle qu’on la connait ; ainsi ces jeunes filles font avec le désir des hommes, dont les moteurs de la sexualité restent pour certains des fantasmes assez ordinaires et largement véhiculés, la domination ou la différence d’âge, dans l’incapacité de sortir de la binarité mère/putain. Car Odile et la narratrice savent aussi dans quel monde elles construisent leur désir, et leur liberté a un prix, celui de la discrétion et du respect du voile social qui s’impose aux jeunes filles ou aux mères de famille.
Comme tout livre que je lis, j’y vais en choisissant d’être avec, pas contre. C’est un peu comme tous les arts, on peut choisir à l’avance de trouver des contrariétés, de trouver des faiblesses, des insuffisances. Néanmoins, les artistes, les autrices et auteurs, sont si libres qu’on bouderait notre plaisir et notre chance à accueillir pleinement leur œuvre. Bien sûr Odile l’été peut, parfois, faire un peu tordre la bouche et ses principes, mais surtout, on retient l’histoire de cette femme libre et maîtresse de son corps. On aime ressentir cette liberté qui envahit tout, qui enivre et qui nous rappelle que l’homme et la femme sont des êtres désirants, dans des corps vivants et vibrants.
Camille Court